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Séminaire "Démodynamiques"

Vieillesse et vieillissement de la population

Patrice Bourdelais(*)

Jeudi 6 juin 1996 de 14 à 15 h (salle du 3e étage)

(*) Directeur d'études à l'EHESS

Résumé

On comprend que la température soit mesurée en degrés et la distance en mètres, mais n'est-il pas plus surprenant de caractériser une population par son vieillissement ? Cette notion, claire lorsqu'il s'agit d'un homme ou d'un animal, devient plus floue lorsqu'on l'applique à l'ensemble d'une population. L'étude de la formation des grands groupes d'âges, indispensables afin de penser le vieillissement dans les termes habituels (proportion des personnes de 60 ou 65 ans ou plus) et la mise en évidence du contexte politique, intellectuel et culturel de l'émergence de la notion de vieillissement démographique soulignent à la fois l'importance des préoccupations étatiques et le caractère décisif de la représentation culturelle de la vieillesse.

Le début d'un comptage des " vieillards " apparaît lorsque l'Etat royal se développe en Europe à la fin du XVII siècle. Colbert ordonne ainsi un dénombrement annuel dans les territoires des colonies d'Amérique afin d'apprécier le potentiel de défense (hommes capables de porter les armes) et de développement (filles à marier et grands garçons). La troisième grande catégorie est ainsi définie en creux, elle regroupe ceux qui ne sont plus capables de porter les armes ni de participer à l'essor démographique de la colonie. Il s'agit d'un choix conforme à la représentation très négative de la vieillesse au XVIIe siècle.
Avec la révolution des représentations de la vieillesse qui s'opère dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on se préoccupe de mettre en place des retraites, des systèmes d'épargne ou de secours qui permettent d'assurer aux vieillards devenus alors frais, nobles et grands des conditions de vie décentes. La solidarité qui s'exprime alors entre les générations conduit à se préoccuper des rapports numériques entre une génération et la suivante, et à raisonner en termes de charges. Seule la perception très positive de la vieillesse empêche que se développent alors de telles études.
Au XIXe siècle, la représentation de la vieillesse s'inverse à nouveau sous l'effet d'un changement de regard social : ce sont désormais les masses récemment urbanisées et mobilisées par l'industrie qui intéressent les observateurs sociaux et non plus seulement les élites. La médecine développe aussi une première gériatrie qui traque les dysfonctionnements et le dépérissement des organismes vieillissants. Rien qui soutienne l'option optimiste du XVIIIe siècle. Il faudrait ajouter l'usure au travail et les revendications ouvrières en faveur d'une retraite précoce qui se plaisent à mettre en évidence les aspects les plus terrifiants du vieillissement des hommes. Le beau vieillard du XVIIIe siècle disparaît alors de l'horizon des représentations, même s'il conviendrait de faire une place à part à l'exceptionnel Victor Hugo.
Dans ce contexte culturel interviennent deux événements majeurs : la défaite face à la Prusse en 1871 puis la découverte de l'antériorité de la limitation française des naissances par rapport aux deux pays voisins et concurrents (l'Allemagne et l'Angleterre). La défaite conduit à s'interroger sur les causes et les conséquences de la guerre, y compris démographiques, la tripartition de la population (jeunes, adultes, vieillards) est désormais reprise, comme à l'époque de Colbert, lors de chaque présentation des résultats des recensements quinquennaux. A partir des années 1880, l'accroissement de la proportion des " vieillards " n'est plus perçue comme l'indice de l'excellence de la civilisation, l'inquiétude démographique conduit à souligner l'inertie sociale et culturelle qu'entraîne la forte proportion de vieux, la concurrence économique qu'ils exercent, au sein des familles, à la naissance de nouveaux enfants. C'est alors que Jacques Bertillon utilise pour la première fois la métaphore d'une population qui vieillit comme une futaie. Alfred Sauvy propose l'expression de vieillissement de la population en 1928 afin de désigner la montée vers le sommet de la pyramide des âges d'effectifs plus nombreux que les générations plus clairsemées qui leur succèdent.
La notion est immédiatement utilisée par les mouvements natalistes, en particulier le plus actif d'entre eux, l'Alliance nationale contre la dépopulation, qui pense détenir une arme de propagande plus efficace que le thème de la dénatalité, parce que les conséquences sont perceptibles à l'échelle individuelle (âge de départ à la retraite et niveau des prestations).
La notion de vieillissement de la population est utilisée depuis la fin des années 1930 comme l'un des arguments essentiels de la pédagogie du déclin. Sa pertinence scientifique n'est pas examinée alors que le seuil d'âge d'entrée dans la vieillesse (conditions de santé) s'est élèvé de plusieurs années. N'est-il pas probable que cette notion, par la fixité du seuil d'âge sur laquelle elle est construite, ait constitué un frein à la prise de conscience de la modification de l'âge de la vieillesse ? Son utilisation pèse aussi sur la perception actuelle de la vieillesse car elle conserve la connotation négative de la vieillesse qui lui a donné naissance.

La discussion sera introduite par Alain Blum, Directeur de recherche à l'INED

Animateur de la séance Nicolas Brouard, brouard@sauvy.ined.fr 
On peut trouver le programme du séminaire sur http://sauvy.ined.fr/seminaires/demodynamiques ou le recevoir sur la liste(listserver) demodyn@sauvy.ined.fr
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