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Séminaire "Démodynamiques"

Les migrations temporaires à l'épreuve de la durée : mutations géographiques et professionnelles d'un champ migratoire entre Italie et France au début du XXème siècle.

Manuela Martini (*)

Jeudi 12(**) novembre 1998,  de 14 à 15h (salle 111/121)

(*) Post-doctorante à l'INED.

(**) Report de la séance du 5 novembre 1998 en raison de la manifestation des personnels de la recherche publique.


L'exposé sera retransmis en direct puis en différé sur internet (audio)

Résumé :

Le point de départ de cette recherche est l'analyse d'un phénomène récurrent dans les aires migratoires : il s'agit des transformations profondes que connaissent les sociétés fondées sur la mobilité sous l'effet des variations des trajets migratoires de leurs membres. En l'espèce, nous analyserons un ensemble de seize communautés montagnardes des Apennins situées dans l'actuelle province de Plaisance, et qui constituent la vaste commune de Ferriere (tellement vaste qu'elle était le siège d'un tribunal de première instance).
Pendant l'époque moderne, elles connaissent une mobilité saisonnière de moyenne distance vers la plaine du Pô, orientée non pas vers les villes mais plutôt vers les activités agricoles ou les travaux du bois. Mais par la suite, les destinations des migrants qui en sont originaires se transforment, pour déboucher, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sur une émigration internationale de plus en plus fréquente. Outre le continent américain, l'un de ses points d'arrivée privilégiés est la France, et tout particulièrement la Région parisienne. Le champ migratoire qui se met en place entre les montagnes de Plaisance et la banlieue de Paris soulève deux problèmes particuliers.
Le premier concerne la coïncidence entre les variations des destinations et le changement des métiers exercés par les émigrants. Au lieu des activités liées à l'économie agro-silvo-pastorale, les montagnards de Ferriere soumis à cette émigration transalpine et urbaine se lancent dans le petit commerce et l'artisanat, et surtout dans les métiers du bâtiment. Cette nouvelle forme de mobilité ne se substitue pas pour autant à la mobilité saisonnière ancienne. Au contraire, malgré une légère domination de la migration internationale, ces deux formes coexistent durant les vingt dernières années du XIXe siècle. Cette coprésence persiste et même culmine dans la décennie suivante, au début du XXe siècle, parallèlement à l'apogée des flux migratoires nationaux. C'est du moins ce que révèle l'utilisation des diverses sources nominatives (status animarum, recensements, registres de l'état civil), et des indications qu'elles fournissent sur les professions. Ces documents rendent compte de l'ampleur du changement auquel furent exposées certaines des communautés de Ferriere dans le dernier quart du XIXe siècle : les familles touchées par la migration internationale y passent d'environ 20 % en 1876 à plus de 50 % en 1901. Durant les deux décennies suivantes, ce pourcentage ne cesse bien sûr d'augmenter, mais dans des proportions moindres qu'à la période précédente et au bouleversement qui l'avait marquée. En revanche, l'intensité du phénomène s'accroît à l'intérieur même des foyers concernés. On assiste en particulier à une augmentation du nombre des familles qui partent toutes entières. Pour combler les lacunes et les silences des données agrégées, il est nécessaire de suivre les comportements de ces familles à "vocation" migratoire. Les reconstitutions généalogiques le permettent qui, en reconstruisant les histoires migratoires, nous mènent directement au terme de leur parcours. On repère en particulier de nombreux "pays" qui, parmi leurs destinations de prédilection, ont choisi Nogent-sur-Marne en Région Parisienne : sur 115 émigrants vers la France ayant reçu un passeport en 1916, 15 s'y dirigent directement. Vu du point d'arrivée, l'effet est encore plus net : 40 % des Italiens (106 sur 267) qui y déclarent leur résidence entre 1889 et 1893 sont nés à Ferriere.
C'est à ce point du raisonnement qu'émerge avec clarté un second axe de recherche. Une analyse nominative centrée sur quelques familles touchées précocement par le phénomène migratoire montre de nombreux cas de présence simultanée d'émigrés à la fois au lieu d'origine et au lieu d'arrivée. Si quelques familles disparaissent définitivement de Ferriere, d'autres continuent à paraître dans les status animarum tout en maintenant leur enregistrement au pays de destination. Une double appartenance qui parfois se prolonge dans le temps, comme une sorte de manifestation tangible de la double "fidélité" des émigrants. Une trace, en d'autres termes, d'une émigration ayant pour objectif le retour ou qui, au moins dans ses motivations initiales, se voulait temporaire. De fait, tout en ayant transféré en France dès la première génération, famille, intérêts professionnels et, pourrait-on dire, espace existentiel, une partie des immigrants de Ferriere n'abandonnent pas les deux clefs de voûte du système de valeurs de leurs communautés d'origine : le maintien de la propriété foncière dans le lieu d'origine et une endogamie matrimoniale certes reconstruite et adaptée au nouveau contexte, mais que l'on retrouve également à la seconde génération. A la différence des migrants transatlantiques, les migrants continentaux, même avec des distances importantes et même lorsqu'ils n'ont plus comme objectif le retour au lieu de départ, conservent des liens significatifs avec leurs communautés d'origines, dont on trouve encore des traces à la fin de ce siècle.

La discussion sera introduite par Caroline Douki, maître de conférence à l'Ecole normale supérieure de Fontenay-St Cloud.


Animateur de la séance :  Antoine Bommier (INED)
On peut trouver le programme du séminaire ainsi que d'autres informations sur les transmissions sonores à l'adresse suivante de la Toile http://sauvy.ined.fr/seminaires/demodynamiques . Il est également possible de recevoir le programme en envoyant la commande "subscribe demodyn Nom Prenom Institut" à l'adresse électronique demodyn-request@sauvy.ined.fr.
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