Populations africaines et sida

			 [Populations africaines et sida]

Préface

Lorsqu'au début des années quatre-vingt survinrent les premiers cas de syndrome d'immuno-dépression acquise (sida) aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe, il y a longtemps que le virus, le VIH, sévissait en Afrique, dans la clandestinité, la méconnaissance ou l'indifférence. Peu à peu, l'importance de la pandémie s'imposa. Cette prise de conscience tardive a coûté cher en vies humaines et en conséquences épidémiologiques, dispersant le virus.
Les organisations internationales, l'OMS en particulier, ne perçurent pas l'importance de cette rétrovirose sur le continent africain. Or, le sida n'était pas seulement une maladie d'homosexuels américains ou européens, d'hémophiles, pas seulement une maladie d'Haïtiens et de toxicomanes, le sida n'était pas une maladie de riches dépravés ou de société sinistrée, le sida était aussi une affection frappant les populations africaines avec une rare intensité. Enfermés dans leurs convictions et la priorité à donner depuis la Conférence sur les soins de santé primaires d'Alma-Ata en 1978, quelques années plus tôt, les responsables de l'Organisations mondiale de la santé ne perçurent la tragédie africaine que tardivement et mésestimèrent, dans une premier temps, sa gravité. Pourtant, actuellement, avant que n'éclate la bombe asiatique, déjà bien amorcée, six, voire sept séropositifs sur dix sur notre planète se situent en Afrique !
Quel drame pour un continent économiquement et politiquement à la dérive que d'ajouter au bulletin de santé négatif, ce plus aux coûts exorbitants, déstabilisant la société et menaçant de faillite un système sanitaire en crise.
Ce livre a été rédigé sous la direction de Jacques Vallin au Centre français sur la population et le développement, CEPED, qui réunit des chercheurs de l'INED, de l'ORSTOM et de l'INSEE. Ce titre, Populations africaines et sida, pose les vraies questions et apporte des réponses au moins au stade où nous en sommes de l'évolution du sida.
Après un indispensable rappel des aspects bio-médicaux de ce syndrome en Afrique (F. Chièze) et de son épidémiologie (B. Auvert), le chapitre le plus original concerne la dynamique de celle-ci et ses conséquences démographiques sur ce continent (N. Brouard).
En tenant compte des spécificités de la démographie africaine, à l'échéance 2000-2005, quelle que soit la prévalence atteinte, les conséquences démographiques en terme d'effectif total de la population ne sont pas « spectaculaires », contrairement à ce qui était redouté....: dans les cinq pays africains les plus infectés, la population qui devait, en l'absence d'épidémie de sida, être multipliée par 2,2 d'ici 2010, le serait encore, malgré tout par 1,9 si la prévalence atteignait 15 % de la population adulte. Mais, pour le même taux de séroprévalence, l'espérance de vie baisse cependant de 14 ans !
Les conséquences socio-économiques et le coût du sida (J-P Dozon et A. Guillaume) constituent une autre question originale et grave : crise économique mondiale, ajustement structurel, dévaluation du franc CFA, déstructuration politique et économique et... le sida de surcroît ! « Maladie de la crise ? » Maladie de l'échec ? Regain artificiel des médecines traditionnelles ? En tout cas, « une rude épreuve pour la profession médicale ».
Et un coût exorbitant pour les économies africaines, sans parler du sans prix des « orphelins du sida », s'ajoutant aux orphelins des troubles politico-économiques et raciaux. Il est possible cependant que ce drame réveille les consciences, mobilise les acteurs de la santé, incite les décideurs politiques nationaux et internationaux à plus de promptitude dans leurs engagements, crée des centres de références biologiques et épidémiologiques en Afrique que les maladies traditionnelles du continent, percues souvent comme folkloriques, n'étaient pas parvenues à mobiliser.
A la lecture des rapports des administrateurs de l'époque coloniale relatant les épidémies de maladie du sommeil, on retrouve de nombreuses similitudes avec la description de l'épidémie du sida. Il est permis d'espérer qu'une bonne rationalité, à laquelle devrait conduire ce livre, facilitera l'approche d'une maladie tragique qu'aucun médicament à ce jour ne peut durablement enrayer.
Comme tous les dix ans, depuis trois décennies, sous l'égide des Nations Unies et du FNUAP, après Bucarest (1974), Mexico (1984), se tiendra cette année au Caire (1994) une conférence sur la population du monde.
Le livre du CEPED, orchestré par Jacques Vallin, arrive à point pour fournir les éléments de réponses aux questions posées sur les conséquences démographiques du sida dans un contexte dramatique, le bouleversant génocide du Rwanda suivi de l'exode massif d'une population meurtrie que déciment encore des épidémies de maladies pestilentielles.
Choléra, malaria, sida et les autres, même combat !
Pr Marc Gentilini
Université de Paris-VI, Pitié-Salpêtrière