Le début d'un comptage des " vieillards " apparaît lorsque
l'Etat royal se développe en Europe à la fin du XVII siècle. Colbert
ordonne ainsi un dénombrement annuel dans les territoires des colonies
d'Amérique afin d'apprécier le potentiel de défense (hommes capables
de porter les armes) et de développement (filles à marier et grands
garçons). La troisième grande catégorie est ainsi définie en creux,
elle regroupe ceux qui ne sont plus capables de porter les armes ni de
participer à l'essor démographique de la colonie. Il s'agit d'un choix
conforme à la représentation très négative de la vieillesse au XVIIe
siècle.
Avec la révolution des représentations de la vieillesse qui
s'opère dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on se préoccupe de
mettre en place des retraites, des systèmes d'épargne ou de secours
qui permettent d'assurer aux vieillards devenus alors frais, nobles et
grands des conditions de vie décentes. La solidarité qui s'exprime
alors entre les générations conduit à se préoccuper des rapports
numériques entre une génération et la suivante, et à raisonner en
termes de charges. Seule la perception très positive de la vieillesse
empêche que se développent alors de telles études.
Au XIXe siècle, la représentation de la vieillesse s'inverse à
nouveau sous l'effet d'un changement de regard social : ce sont
désormais les masses récemment urbanisées et mobilisées par
l'industrie qui intéressent les observateurs sociaux et non plus
seulement les élites. La médecine développe aussi une première
gériatrie qui traque les dysfonctionnements et le dépérissement des
organismes vieillissants. Rien qui soutienne l'option optimiste du
XVIIIe siècle. Il faudrait ajouter l'usure au travail et les
revendications ouvrières en faveur d'une retraite précoce qui se
plaisent à mettre en évidence les aspects les plus terrifiants du
vieillissement des hommes. Le beau vieillard du XVIIIe siècle
disparaît alors de l'horizon des représentations, même s'il
conviendrait de faire une place à part à l'exceptionnel Victor
Hugo.
Dans ce contexte culturel interviennent deux événements
majeurs : la défaite face à la Prusse en 1871 puis la découverte de
l'antériorité de la limitation française des naissances par rapport
aux deux pays voisins et concurrents (l'Allemagne et l'Angleterre). La
défaite conduit à s'interroger sur les causes et les conséquences de
la guerre, y compris démographiques, la tripartition de la population
(jeunes, adultes, vieillards) est désormais reprise, comme à l'époque
de Colbert, lors de chaque présentation des résultats des recensements
quinquennaux. A partir des années 1880, l'accroissement de la
proportion des " vieillards " n'est plus perçue comme l'indice de
l'excellence de la civilisation, l'inquiétude démographique conduit à
souligner l'inertie sociale et culturelle qu'entraîne la forte
proportion de vieux, la concurrence économique qu'ils exercent, au
sein des familles, à la naissance de nouveaux enfants. C'est alors que
Jacques Bertillon utilise pour la première fois la métaphore d'une
population qui vieillit comme une futaie. Alfred Sauvy propose
l'expression de vieillissement de la population en 1928 afin de
désigner la montée vers le sommet de la pyramide des âges d'effectifs
plus nombreux que les générations plus clairsemées qui leur
succèdent.
La notion est immédiatement utilisée par les mouvements
natalistes, en particulier le plus actif d'entre eux, l'Alliance
nationale contre la dépopulation, qui pense détenir une arme de
propagande plus efficace que le thème de la dénatalité, parce que les
conséquences sont perceptibles à l'échelle individuelle (âge de départ
à la retraite et niveau des prestations).
La notion de vieillissement de la population est utilisée
depuis la fin des années 1930 comme l'un des arguments essentiels de
la pédagogie du déclin. Sa pertinence scientifique n'est pas examinée
alors que le seuil d'âge d'entrée dans la vieillesse (conditions de
santé) s'est élèvé de plusieurs années. N'est-il pas probable que
cette notion, par la fixité du seuil d'âge sur laquelle elle est
construite, ait constitué un frein à la prise de conscience de la
modification de l'âge de la vieillesse ? Son utilisation pèse aussi
sur la perception actuelle de la vieillesse car elle conserve la
connotation négative de la vieillesse qui lui a donné naissance.