(*) Chargé de recherche à l'INED
Tableau 1. Rapport de surmortalité des veufs/veuves par rapport aux mariés/mariées
Dans une deuxième partie, nous nous sommes intéressés à l'évolution des risques de mortalité au fur et à mesure que le veuvage devient plus ancien. La deuxième année de veuvage est une année charnière puisque, aussi rare qu'il puisse être donné de l'observer, la mortalité baisse en valeur absolue alors que l'âge avance (tableau 2). Cette variation positive témoigne sans doute d'une amélioration des capacités de survie des veufs entre la première et la deuxième année. Néanmoins, cette distorsion est aussi pour partie le résultat d'un phénomène d'hétérogénéité au sein des cohortes de nouveaux veufs entre les décédés de la première année et ceux qui survivent à ce cap.
Tableau 2. Quotients annuels moyens de mortalité des veufs selon le sexe et la durée du veuvage (quotients pour 1000)
L'hypothèse selon laquelle le veuvage instaure
l'entrée dans un cycle de vie caractérisé par une évolution positive de la santé au
fil du temps est autrement confirmée puisque la surmortalité des veufs relativement aux
mariés diminue à mesure que le veuvage est plus ancien (tableau 1). La baisse de cette
surmortalité tout au long des dix premières années de veuvage suggère que le
"choc du veuvage" s'atténue progressivement. Mais l'effet traumatique du
veuvage n'est pas non plus le seul facteur en cause dans l'explication de la surmortalité
des veufs. Avec le temps, la mortalité est sous l'influence d'autres facteurs qui ont
pour effet soit de réduire, soit d'accroître la surmortalité au fil des durées de
veuvage : adaptation progressive aux conditions de vie (facteur de baisse), sélection par
changement de composition de la cohorte du fait du décès des plus fragiles en début de
veuvage (facteur de baisse) ou du remariage des plus vaillants (facteur de hausse)... Il
est difficile d'isoler les effets de sélection pour ne retenir que le processus
d'adaptation, mais la sélection n'étant pas égale dans les différentes combinaisons de
sexe, d'âge au veuvage et de durée du veuvage, on peut avancer quelques résultats.
Aux âges jeunes (35-44 ans), les quotients de mortalité n'augmentent guère pendant
plusieurs années après la première année du veuvage (tableau 2). Un phénomène
d'adaptation aux conditions de vie après le veuvage semble donc à l'uvre, bien que
la forte hétérogénéité des individus composant la cohorte initiale conduise à une
amélioration qualitative de sa composition aux durées successives. Mais même en
laissant le temps s'écouler, la surmortalité relative des jeunes nouveaux veufs reste
considérable. Au bout de quinze ans de veuvage, la mortalité des hommes veufs est à
150% au dessus de celle des mariés ; celle des femmes est à environ 60% (tableau 1). La
surmortalité des hommes s'explique par la combinaison de remariages plus fréquents et
peut être de moindre capacités d'adaptation. Les jeunes veuves bénéficient d'une plus
faible surmortalité relative du fait d'une moindre sélection du fait des remariages. Il
est possible aussi qu'elles sachent mieux surmonter la perte du conjoint.
Aux âge élevés (65-74 ans), contrairement à ce qui se passe aux âges jeunes, la
mortalité se redresse dès la troisième année et dépasse souvent la mortalité
observée durant la première année (tableau 2). La surmortalité relative se réduit au
fil des durées de veuvage (tableau 1). On peut donc interpréter ce rapprochement relatif
de la mortalité des veufs par rapport aux mariés comme la marque d'une adaptation aux
conditions de vie inhérentes au veuvage, d'autant qu'il y a très peu de remariages
venant perturber l'observation. Au total, après 10 ans de veuvage, la surmortalité
résiduelle, largement débarrassée des effets de sélection, équivaut à environ 20%.