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Séminaire "Démodynamiques"

Risque de mortalité et de surmortalité au cours des dix premières années de veuvage.

Xavier Thierry(*)

Jeudi 25 juin 1998,  de 14 à 15h (salle 111/121)

(*) Chargé de recherche à l'INED


L'exposé sera retransmis en direct puis en différé sur internet (audio)

Résumé :

Cette recherche porte sur les conditions de mortalité après le décès d'un conjoint. Comme il a été montré par de nombreux auteurs, la surmortalité des veufs par rapport aux mariés varie fortement selon le sexe (elle est plus forte chez les hommes) et l’âge (elle décroît à mesure que l'âge avance). Mais les conditions de la survie dépendent aussi d'une autre variable quantitative : l’ancienneté du veuvage. La réalisation d'une étude de la mortalité par durée de veuvage doit permettre d'identifier les différentes composantes de cette surmortalité générale des veufs par rapport aux mariés (surmortalité immédiate due au "choc du veuvage", surmortalité attribuable aux conditions de vie...) et de préciser ainsi les premières phases du parcours des veufs et des veuves entre le début du veuvage et sa fin (remariage ou décès).
L'enregistrement statistique des décès par l'état civil français présente une originalité remarquable puisque cette source croise le sexe, l'âge avec la durée écoulée depuis le veuvage lorsqu'il s'agit d'un décès de veufs. L'exploitation qui en est ici faite repose sur les statistiques des décès de personnes veuves survenus en France en 1969-1974 et en 1980-1991. Les quotients de mortalité aux différentes anciennetés de veuvage ont ainsi pu être calculés, pour les deux sexes et pour différents âges au veuvage. La mortalité des personnes mariées a été également établie pour ces deux périodes, ce qui permet de calculer des indices de surmortalité relative (veufs/mariés).
Les résultats montrent que la première année de veuvage est un moment critique en terme de surmortalité. La mort du conjoint constitue une épreuve sans appel ni délai pour le survivant : dans cette première année, les répercussions du veuvage sur le niveau de la mortalité se font déjà sentir dans des proportions tout à fait considérables. Tous âges au veuvage réunis, la mortalité des veufs est de 80% supérieure à celle des hommes mariés, la mortalité des veuves est de 60% au dessus de celle des femmes mariées. En l'espace de vingt ans, la surmortalité durant cette première année critique est restée sensiblement équivalente pour les femmes, elle a légèrement régressé chez les hommes. Cette grande inertie de la surmortalité à travers le temps est d'autant plus significative d'un phénomène profondément ancré que l'ampleur de cette surmortalité immédiate est capable de très grandes différences d'un sexe à l'autre, d'un âge au veuvage au suivant : les hommes sont frappés plus fortement que les femmes ; les jeunes veufs davantage que les personnes âgées (tableau 1).

Tableau 1. Rapport de surmortalité des veufs/veuves par rapport aux mariés/mariées

Dans une deuxième partie, nous nous sommes intéressés à l'évolution des risques de mortalité au fur et à mesure que le veuvage devient plus ancien. La deuxième année de veuvage est une année charnière puisque, aussi rare qu'il puisse être donné de l'observer, la mortalité baisse en valeur absolue alors que l'âge avance (tableau 2). Cette variation positive témoigne sans doute d'une amélioration des capacités de survie des veufs entre la première et la deuxième année. Néanmoins, cette distorsion est aussi pour partie le résultat d'un phénomène d'hétérogénéité au sein des cohortes de nouveaux veufs entre les décédés de la première année et ceux qui survivent à ce cap.

Tableau 2. Quotients annuels moyens de mortalité des veufs selon le sexe et la durée du veuvage (quotients pour 1000)

L'hypothèse selon laquelle le veuvage instaure l'entrée dans un cycle de vie caractérisé par une évolution positive de la santé au fil du temps est autrement confirmée puisque la surmortalité des veufs relativement aux mariés diminue à mesure que le veuvage est plus ancien (tableau 1). La baisse de cette surmortalité tout au long des dix premières années de veuvage suggère que le "choc du veuvage" s'atténue progressivement. Mais l'effet traumatique du veuvage n'est pas non plus le seul facteur en cause dans l'explication de la surmortalité des veufs. Avec le temps, la mortalité est sous l'influence d'autres facteurs qui ont pour effet soit de réduire, soit d'accroître la surmortalité au fil des durées de veuvage : adaptation progressive aux conditions de vie (facteur de baisse), sélection par changement de composition de la cohorte du fait du décès des plus fragiles en début de veuvage (facteur de baisse) ou du remariage des plus vaillants (facteur de hausse)... Il est difficile d'isoler les effets de sélection pour ne retenir que le processus d'adaptation, mais la sélection n'étant pas égale dans les différentes combinaisons de sexe, d'âge au veuvage et de durée du veuvage, on peut avancer quelques résultats.
Aux âges jeunes (35-44 ans), les quotients de mortalité n'augmentent guère pendant plusieurs années après la première année du veuvage (tableau 2). Un phénomène d'adaptation aux conditions de vie après le veuvage semble donc à l'œuvre, bien que la forte hétérogénéité des individus composant la cohorte initiale conduise à une amélioration qualitative de sa composition aux durées successives. Mais même en laissant le temps s'écouler, la surmortalité relative des jeunes nouveaux veufs reste considérable. Au bout de quinze ans de veuvage, la mortalité des hommes veufs est à 150% au dessus de celle des mariés ; celle des femmes est à environ 60% (tableau 1). La surmortalité des hommes s'explique par la combinaison de remariages plus fréquents et peut être de moindre capacités d'adaptation. Les jeunes veuves bénéficient d'une plus faible surmortalité relative du fait d'une moindre sélection du fait des remariages. Il est possible aussi qu'elles sachent mieux surmonter la perte du conjoint.
Aux âge élevés (65-74 ans), contrairement à ce qui se passe aux âges jeunes, la mortalité se redresse dès la troisième année et dépasse souvent la mortalité observée durant la première année (tableau 2). La surmortalité relative se réduit au fil des durées de veuvage (tableau 1). On peut donc interpréter ce rapprochement relatif de la mortalité des veufs par rapport aux mariés comme la marque d'une adaptation aux conditions de vie inhérentes au veuvage, d'autant qu'il y a très peu de remariages venant perturber l'observation. Au total, après 10 ans de veuvage, la surmortalité résiduelle, largement débarrassée des effets de sélection, équivaut à environ 20%.

La discussion sera introduite par M.H Bouvier-Colle (INSERM)


Animateur de la séance :  Nicolas Brouard
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