(*) Charg� de recherche � l'INED
Cette recherche porte sur les conditions de
mortalit� apr�s le d�c�s d'un conjoint. Comme il a �t� montr� par de nombreux
auteurs, la surmortalit� des veufs par rapport aux mari�s varie fortement selon le sexe
(elle est plus forte chez les hommes) et l’�ge (elle d�cro�t � mesure que l'�ge
avance). Mais les conditions de la survie d�pendent aussi d'une autre variable
quantitative : l’anciennet� du veuvage. La r�alisation d'une �tude de la
mortalit� par dur�e de veuvage doit permettre d'identifier les diff�rentes composantes
de cette surmortalit� g�n�rale des veufs par rapport aux mari�s (surmortalit�
imm�diate due au "choc du veuvage", surmortalit� attribuable aux conditions de
vie...) et de pr�ciser ainsi les premi�res phases du parcours des veufs et des veuves
entre le d�but du veuvage et sa fin (remariage ou d�c�s).
L'enregistrement statistique des d�c�s par l'�tat civil fran�ais pr�sente une
originalit� remarquable puisque cette source croise le sexe, l'�ge avec la dur�e
�coul�e depuis le veuvage lorsqu'il s'agit d'un d�c�s de veufs. L'exploitation qui en
est ici faite repose sur les statistiques des d�c�s de personnes veuves survenus en
France en 1969-1974 et en 1980-1991. Les quotients de mortalit� aux diff�rentes
anciennet�s de veuvage ont ainsi pu �tre calcul�s, pour les deux sexes et pour
diff�rents �ges au veuvage. La mortalit� des personnes mari�es a �t� �galement
�tablie pour ces deux p�riodes, ce qui permet de calculer des indices de surmortalit�
relative (veufs/mari�s).
Les r�sultats montrent que la premi�re ann�e de veuvage est un moment critique en terme
de surmortalit�. La mort du conjoint constitue une �preuve sans appel ni d�lai pour le
survivant : dans cette premi�re ann�e, les r�percussions du veuvage sur le niveau de la
mortalit� se font d�j� sentir dans des proportions tout � fait consid�rables. Tous
�ges au veuvage r�unis, la mortalit� des veufs est de 80% sup�rieure � celle des
hommes mari�s, la mortalit� des veuves est de 60% au dessus de celle des femmes
mari�es. En l'espace de vingt ans, la surmortalit� durant cette premi�re ann�e
critique est rest�e sensiblement �quivalente pour les femmes, elle a l�g�rement
r�gress� chez les hommes. Cette grande inertie de la surmortalit� � travers le temps
est d'autant plus significative d'un ph�nom�ne profond�ment ancr� que l'ampleur de
cette surmortalit� imm�diate est capable de tr�s grandes diff�rences d'un sexe �
l'autre, d'un �ge au veuvage au suivant : les hommes sont frapp�s plus fortement que les
femmes ; les jeunes veufs davantage que les personnes �g�es (tableau 1).
Tableau 1. Rapport de surmortalit� des veufs/veuves par rapport aux mari�s/mari�es
Dans une deuxi�me partie, nous nous sommes int�ress�s � l'�volution des risques de mortalit� au fur et � mesure que le veuvage devient plus ancien. La deuxi�me ann�e de veuvage est une ann�e charni�re puisque, aussi rare qu'il puisse �tre donn� de l'observer, la mortalit� baisse en valeur absolue alors que l'�ge avance (tableau 2). Cette variation positive t�moigne sans doute d'une am�lioration des capacit�s de survie des veufs entre la premi�re et la deuxi�me ann�e. N�anmoins, cette distorsion est aussi pour partie le r�sultat d'un ph�nom�ne d'h�t�rog�n�it� au sein des cohortes de nouveaux veufs entre les d�c�d�s de la premi�re ann�e et ceux qui survivent � ce cap.
Tableau 2. Quotients annuels moyens de mortalit� des veufs selon le sexe et la dur�e du veuvage (quotients pour 1000)
L'hypoth�se selon laquelle le veuvage instaure
l'entr�e dans un cycle de vie caract�ris� par une �volution positive de la sant� au
fil du temps est autrement confirm�e puisque la surmortalit� des veufs relativement aux
mari�s diminue � mesure que le veuvage est plus ancien (tableau 1). La baisse de cette
surmortalit� tout au long des dix premi�res ann�es de veuvage sugg�re que le
"choc du veuvage" s'att�nue progressivement. Mais l'effet traumatique du
veuvage n'est pas non plus le seul facteur en cause dans l'explication de la surmortalit�
des veufs. Avec le temps, la mortalit� est sous l'influence d'autres facteurs qui ont
pour effet soit de r�duire, soit d'accro�tre la surmortalit� au fil des dur�es de
veuvage : adaptation progressive aux conditions de vie (facteur de baisse), s�lection par
changement de composition de la cohorte du fait du d�c�s des plus fragiles en d�but de
veuvage (facteur de baisse) ou du remariage des plus vaillants (facteur de hausse)... Il
est difficile d'isoler les effets de s�lection pour ne retenir que le processus
d'adaptation, mais la s�lection n'�tant pas �gale dans les diff�rentes combinaisons de
sexe, d'�ge au veuvage et de dur�e du veuvage, on peut avancer quelques r�sultats.
Aux �ges jeunes (35-44 ans), les quotients de mortalit� n'augmentent gu�re pendant
plusieurs ann�es apr�s la premi�re ann�e du veuvage (tableau 2). Un ph�nom�ne
d'adaptation aux conditions de vie apr�s le veuvage semble donc � l'œuvre, bien que
la forte h�t�rog�n�it� des individus composant la cohorte initiale conduise � une
am�lioration qualitative de sa composition aux dur�es successives. Mais m�me en
laissant le temps s'�couler, la surmortalit� relative des jeunes nouveaux veufs reste
consid�rable. Au bout de quinze ans de veuvage, la mortalit� des hommes veufs est �
150% au dessus de celle des mari�s ; celle des femmes est � environ 60% (tableau 1). La
surmortalit� des hommes s'explique par la combinaison de remariages plus fr�quents et
peut �tre de moindre capacit�s d'adaptation. Les jeunes veuves b�n�ficient d'une plus
faible surmortalit� relative du fait d'une moindre s�lection du fait des remariages. Il
est possible aussi qu'elles sachent mieux surmonter la perte du conjoint.
Aux �ge �lev�s (65-74 ans), contrairement � ce qui se passe aux �ges jeunes, la
mortalit� se redresse d�s la troisi�me ann�e et d�passe souvent la mortalit�
observ�e durant la premi�re ann�e (tableau 2). La surmortalit� relative se r�duit au
fil des dur�es de veuvage (tableau 1). On peut donc interpr�ter ce rapprochement relatif
de la mortalit� des veufs par rapport aux mari�s comme la marque d'une adaptation aux
conditions de vie inh�rentes au veuvage, d'autant qu'il y a tr�s peu de remariages
venant perturber l'observation. Au total, apr�s 10 ans de veuvage, la surmortalit�
r�siduelle, largement d�barrass�e des effets de s�lection, �quivaut � environ 20%.