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Reprise seminaire, ce jeudi 12 septembre, Mark Field
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To: demodyn@sauvy.ined.fr
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Subject: Reprise seminaire, ce jeudi 12 septembre, Mark Field
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Date: Thu, 12 Sep 1996 09:49:19 +0200 (DFT)
Séminaire Démodynamiques
Le séminaire reprend ce jeudi 12 septembre de 14 h à 15 h comme chaque
jeudi. Voici le programme jusqu'à fin octobre environ. N'hésitez à
nous contacter si, de passage à Paris, vous voulez intervenir. Les
informations concernant le séminaire sont plus complètes sur le
serveur http://sauvy.ined.fr/seminaires/demodynamiques que
ci-dessous. En particulier les résumés des prochaines interventions
sont accessibles. Sur ce seul serveur de liste
(demodyn@sauvy.ined.fr) auquel vous vous êtes abonné (ou on vous a
abonné), nous n'envoyons que le résumé de la séance en huit ainsi que
le seul titre de la séance du jeudi de la semaine courante. Sur la
Toile (WEB) on peut également (et de plus en plus au fur et à mesure
que la Toile s'étend) accéder directement aux sites des intervenants
afin de mieux connaitre leurs activités.
-------- Contenu du message ------------------
(1) Liste des séminaires à venir.
(2) Résumé de l'intervention de Mark Field ce jeudi (long).
(3) Résumé de l'intervention d'Andrew Bebbington (dans un message séparé).
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(1) Liste des séminaires à venir.
o Mark Field (Russian Research Center de Harvard) parlera de la
crise du système de santé en Russie, le jeudi 12 septembre 1996 de 14
heures à 15 heures.
o Andrew Bebbington, professeur à l'Université de Kent (Canterbury)
et chercheur de l'Unité de recherche "Personal Social Services", fera
un exposé intitulé "Healthy Life Expectancy and Long Term Care", le
Jeudi 19 septembre 1996, de 14 heures à 15 heures.
o Benoît Riandey, conseiller scientifique à l'INED,
présentera les enjeux de la mise en place de la carte SESAME fondée sur
le futur répertoire des personnes couvertes par l'assurance maladie,
le jeudi 26 septembre 1996 de 14 heures à 15 heures.
o Marc Artzrouni, professeur à l'Université de Pau, fera un exposé
sintitulé, "La maladie du sommeil en Afrique Centrale : Dynamique des
populations et stratégies de lutte", le jeudi 3 octobre de 14 heures à
15 heures.
o Alain Monnier, directeur de recherche à l'INED et Alfred Nizard,
chargé de recherche à l'INED feront un exposé intitulé "Présentation
d'un fichier de causes des décès survenus en France depuis 1950 -
Quelques aspects de la mortalité d'après ce fichier", le jeudi 10
octobre 1996 de 14 heures à 15 heures.
o P.A. Rosental, chercheur associé à l'INED, fera un exposé intitulé
" 13 ans de débat (1945-1958) : de l'histoire des populations à la
démographie historique", le jeudi 17 octobre
de 14 heures à 15 heures.
o Françoise Cribier parlera des enquêtes longitudinales
auprès de retraités, le jeudi 24 octobre 1996, de 14 heures à 15 heures. (titre à préciser).
o Paul Koegel (Rand Corporation, Los Angeles) présentera
(en anglais) une étude sur l'influence des conditions de vie dans la
jeunesse sur le risque de se retrouver sans-abri,
le jeudi 7 novembre 1996, de 14 heures à 15 heures. (à confirmer).
o Olivia Ekert-Jaffé (INED) présentera une analyse des motivations
des décisions de mariage des couples cohabitants, le jeudi 14 novembre
1996, de 14 heures à 15 heures.
o Au delà : à pourvoir.
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(2) Résumé de l'intervention de Mark Field. La discussion sera
introduite par Alain Blum (INED) et animée par Laurent Toulemon.
Présentation en deux parties :
1. Impressions d'un récent voyage en Russie,
2. La crise de santé en Russie
Mark G. Field (Russian Research Center, Harvard)
Jeudi 12 septembre 1996 de 14 à 15 h (INED, salle du 3e étage)
Résumé
Cette année marque le 40ème anniversaire de mon premier voyage en
URSS, et ma première visite en 5 ans. Moscou a changé et est devenu un
immense chantier, en voie de transformation en une métropole
moderne. Ce qui frappe, c'est le mouvement vers une société de
consommation. Les slogans du Parti Communiste ont été remplacés par
des panneaux publicitaires. Partout on voit le développement du petit
commerce et de l'initiative privée. Il y a une abondance de produits
alimentaires et alcooliques importés de l'étranger et, à ce qui
paraît, se vendent bien. On voit le commencement des supermachés et
des magasins qui vendent des matériaux de construction et des pièces
de rechange pour les automobiles. Il n'est plus nécessaire d'enlever
les essuie-glace quand on parque une voiture (avant ils étaient
immédiatement volés). Il y a maintenant assez de stations d'essence
pour ne pas devoir attendre, comme avant, de 4 à 6 ou même 8 heures
pour faire le plein. La circulation sur les grands boulevards commence
à ressembler au périphérique de Paris. Il n'y a plus de queues devant
les magasins. La seule que j'ai vue était à l'Ambassade des Etats
Unis. Le métro fonctionne parfaitement et est d'une propreté
absolue. Dans les stations de métro, et dans les couloirs, il y a par
contre pas mal de mendiants, de vieilles personnes, surtout des
femmes, qui tendent la main ou font le signe de croix. Les passants
donnent assez volontiers l'aumône, habituellement un billet de 1.000
roubles (à peu près un franc français). Il y a beaucoup de policiers
(militsia) dans le métro, et aussi des membres du service de
sécurité. On peut échanger l'argent librement presque partout, ce qui
n'était pas permis avant. Pour un billet de $ 100 j'ai reçu un
demi-million de roubles. Cinq ans avant, un dollar valait autour de 60
kopeks (les kopeks naturellement ont disparu). Officiellement on n'a
pas le droit d'exporter des roubles, mais dans les magasins hors taxe,
à l'aéroport, ils acceptent les monnaies étrangères et les
roubles. Entrer en Russie et en sortir posent les mêmes formalités que
sous le régime soviétique.
Les contacts que j'ai eus étaient limités, et mon échantillon
n'est sûrement pas représentatif. Il y a simultanément beaucoup de
plaintes et une peur, presque hystérique, à l'idée que les
communistes pourraient retourner au pouvoir. Il y a aussi une
recherche, comme on peut s'y attendre, pour les boucs émissaires
responsables de la situation. Parmi ceux-ci, il y a les capitalistes
de l'Ouest, déterminés à exploiter la Russie pour la main- d'oeuvre
et les ressources naturelles à bon marché. Dans une conversation en
attendant le bus, une femme pose la question : « quel était le nom de
Yeltsin avant ? » ce qui voulait dire que Yeltsin était juif et avait
changé son nom pour cacher ses origines. Il y a un sens
d'humiliation nationale et en même temps un désir d'affirmer la
grandeur et la supériorité de la Russie. Par exemple, une dame dans le
train regarde les maisons dilapidées, et me dit : « Je suis sûre que
vous n'avez pas de telles maisons en Amérique. » Un peu plus tard,
ayant entamé un morceau de chocolat importé, elle ajoute : « Quand
même, notre chocolat russe a meilleur goût ! » Presque toutes les
personnes avec qui j'ai parlé paraissent obsédées avec leurs
datchas. Il ne peuvent pas attendre le week-end pour y aller. La
datcha représente une sorte d'échappée vers une vie plus simple,
plus saine, plus près de la nature, et plus loint des phénomènes
incompréhensibles des villes. Le vote du 16 juin, quand j'étais à
Moscou, s'est déroulé dans le calme absolu. La plupart des affiches
électorales étaient celles de Yeltsin. Je n'ai pratiquement pas vu
des affiches en faveur de Zyuganov. Cette vue que j'ai donnée est
superficielle : le visiteur glisse sur la surface de la réalité. La
crise de santé et de la démographie est une crise silencieuse,
invisible pour l'étranger, mais d'une grande importance non
seulement pour le présent mais aussi pour le futur de ce
pays. C'est un reflet d'une crise systémique.
2. Beaucoup de ceux qui se sont penchés sur la situation
démographique de l'Union Soviétique, dans les années qui ont précédé
l'effondrement du régime, ont souvent observé que beaucoup de ces
phénomènes (particulièrement la mortalité) étaient sans précédent pour
une société en « temps de paix ». Mon point de départ est que la
Troisième Guerre Mondiale a eu lieu. La Guerre Froide était un « temps
de guerre ». Non dans le sens conventionnel d'un conflit militaire,
mais bien une confrontation idéologique, politique et surtout
économique. La crise de santé et démographique en Russie est en partie
le résultat de ce conflit, et des dépenses énormes pour la défense
nationale faites des deux côtés. Mais l'Union Soviétique, avec un
produit national beaucoup plus restreint que celui des US, et en
s'efforçant de maintenir une égalité militaire et nucléaire avec de sa
rivale, a dû dépenser un pourcentage de ses ressources humaines et
économiques beaucoup plus élevé que son adversaire. En conséquence, le
secteur civil et le bien-être de la population, y compris entre autre
la protection de la santé, ont été sacrifiés aux besoins de la défense
nationale. L'URSS ne pouvait pas produire "du beurre et du canon » en
même temps. En plus, le système économique n'était pas à la hauteur de
sa tâche et souffrait d'un régime aux mains d'une mafia souvent
corrompue et incompétente. Les conditions de santé ont commencé à se
détériorer à la fin des années soixante, après l'épisode de Cuba, la
chute de Khrouschev, la décision de n'être plus jamais en position
d'infériorité envers les USA, le régime de Brezhnev et la période de
stagnation, et ont été exacerbées par la banqueroute du système en
1991. Ces conditions ont été reflétées par un accroissement de la
mortalité et morbidité, une baisse de la natalité, un système de santé
sous-financé et désorganisé, et un environnement ruiné par une course
à la militarisation et l'industrialisation qui négligeait les effets
de cette course sur le milieu où les gens vivaient. Ce que nous
voyons, aujourd'hui en Russie, sont les séquelles d'une guerre perdue,
d'une défaite nationale et d'un pays ruiné. C'est une situation
d'après guerre, d'inflation, d'appauvrissement, de démoralisation et
d'humiliation. Cette situation a conduit à une triple polarisation de
la population (a) entre un petit nombre qui se sont enrichis et qui
n'hésitent pas à afficher leur inffluence, et un nombre croissant qui
vivent très difficilement et qui ont la nostalgie d'un passé plus
stable et prévisible ; (b) une division entre les membres d'une
nouvelle génération qui peuvent naviguer plus facilement que leurs
parents dans les conditions économiques présentes et, qui souvent,
commencent à faire la loi dans leurs familles et renversent l'autorité
traditionnelle ; (c) une division entre les hommes et les femmes, où
ces dernières ont perdu beaucoup des avantages dont elles jouissaient
sous le régime soviétique, et qui sont les premières à perdre leur
emploi. La crise de santé et la crise démographique vont continuer
tant que les conditions économiques et politiques ne seront pas
améliorées et stabilisées. Dans ces conditions, il est compréhensible
que les femmes ne veulent pas avoir beaucoup d'enfants. Mais le sens
de démoralisation et de futilité affecte les hommes plus que les
femmes, et conduit à une mortalité masculine adulte très élevée, et
une espérance de vie au niveau (ou en dessous) des pays en
développement. La différence d'espérance de vie entre les hommes et
les femmes est de l'ordre de 14 ans. La Russie est en voie de devenir
un « pays de veuves. » Cette crise aura aussi des « échos » dans les
années à venir. Le système médical, en lui même, ne peut que
contribuer marginalement à la solution de ces problèmes.
Mark G. Field
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Les animateurs du séminaire:
Nicolas Brouard et Laurent Toulemon
brouard@ined.fr toulemon@ined.fr
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Nicolas Brouard
Institut national d'études démographiques
Paris
brouard@ined.fr,http://sauvy.ined.fr/~brouard